III.B. Le Jazz: un versant social de la musique

 B. Le Jazz: un versant social de la musique


Le jazz, plus précisément le "free jazz" est lié aux contextes historiques, économiques, sociaux et politiques des années 1960. Alain Carré considère la musique comme «un fait social qui occupe une position centrale au sein des éléments qui structurent notre perception du monde».

En effet, celle-ci agit comme un révélateur social générateur d'affects, de symboles, de sentiments : son importance n'est plus démontrée dans le domaine politique.

On atteint alors la structure même du lien social, sa dimension mobilisatrice et les conditions de l'exercice de l'influence.
"Bird"
Avant tout, un saxophoniste talentueux, qui lui vaut le surnom de « Bird », Charlie Parker est aussi désigné comme un visionnaire de génie. En effet, il a rapidement compris qu'il fallait aux musiciens jazz garder une identité culturelle, être intransigeant sur le contenu et si possible sur sa valeur marchande, et enfin avoir une musique qui ne puisse être copié par la société américaine blanche. Celle-ci ne reconnaissait d'ailleurs pas ce musicien hors pair comme créateur de première importance. Il s'agit de moderniser la musique noire et de la protéger contre l'affadissement et la récupération. La soif de création, l'implication dans la réalité sociale, culturelle, politique, religieuse et aussi la conscience de participer à un événement exceptionnel, sont des éléments hérités de Charlie Parker, qui vont donner naissance au "free jazz". Il s'agit d'un exemple de supports privilégiés pour des formes d'engagements collectifs construites sur un mode de résistance à toute domination culturelle et politique. Mais c'est aussi une musique identitaire qui constitue un groupe racial, c'est à dire un groupe de référence.
En effet, si la musique renseigne sur une société, elle constitue surtout un moyen parfois essentiel d'affirmer son appartenance à un groupe ethnoculturel et d'en défendre le patrimoine. De plus, à l'idée de la musique se mêle aussi la notion d'identité affirmée.


Ainsi, le rôle de l'art musical n'est donc pas de « critiquer la réalité mais de la changer », selon Alain Carré, le musicien se fait militant en première ligne du combat pour la liberté. Le jazz, comme tout autre forme d'expression, n'est donc pas une création indépendante des structures sociales dans lequel il s'inscrit. Il témoigne de l'état d'esprit de la communauté noire et des rapports de force qui l'oppose au pouvoir dominant des Blancs. Laissant ainsi transparaître les multiples conditionnements qui pèsent sur la formulation d'une identité socio-politique noire.
En outre, les musiciens du free-jazz sont tous plus ou moins impliqués directement dans le développement des luttes noires, et des mouvements politiques parce que tous ont subit la même oppression : exploitation économique et raciste. Cela a toujours été une tradition pour les artistes afro-américains d'exprimer leur point de vue et leurs revendications humaines, sociales et politiques dans leurs œuvres musicales, c'est le cas pour Hudie Ledbetter (ci-contre sa chanson "engagée" We Shall Be Free -Nous Serons Libres-), Bettie Smith...
Ainsi, aux différentes sortes de rapports des Noirs américains et du système qui les exploite économiquement, socialement, culturellement : résignation, acceptation, participation rédemptrice, ou résistance, lutte nationaliste ou révolutionnaire répondent les différentes phases de l'évolution du jazz qui apparaît comme l'un des appareils privilégiés de l'idéologie noire et l'un des enjeux de son conflit avec l'idéologie dominante blanche.
Cependant, le jazz et ses caractéristiques ont donné lieu à des sous-genres.
Cela reste quand même une musique noire-américaine: issu du "ska" (genre musical issue de Jamaique à la fin des années 1950), le "reggae" devient dans les années 1960 une composante essentielle de la musique jamaïcaine. Le reggae reprend par ailleurs les ingrédients du "ska", mais sur des tempos plus lents. À partir de 1974, le reggae s'impose sur la scène mondiale grâce à Bob Marley, qui en profite pour faire connaître le rastafarisme, mouvement de pensée messianique originaire des Caraibes. Ce mouvement est assimilé à une religion pour certains et à un syncrétisme pour d'autres. (ci-dessus un reportage sur le "reggae").
Après la Seconde Guerre mondiale, la musique américaine est très populaire en Jamaïque. Depuis le passage de l'armée américaine dans l'île, on écoute toujours sur les ondes les styles en vogue, comme le "jump"-saut- et le "boogie-woogie". Au début des années 1960 apparaît le "ska", style musical rythmé, qui s'inspire de la musique populaire locale, le "mento", de rythmes afro-caribéens comme le "calypso" et, surtout, de l'instrumentation et de la syncope du "rhythm' and blues". Les pionniers du "ska", sont Laurel Aitken ou encore Prince Buster. Par la suite, The Skatalites, des musiciens experts venus du jazz et de la "soul", accompagnent en studio, jusqu'en 1965, les futures vedettes du reggae: The Wailers avec Bob Marley, Peter Tosh ou Jimmy Cliff.
En 1979, une quinzaine d'années après l'indépendance de la Jamaïque, le "ska" se développe en Grande-Bretagne, où la communauté jamaïcaine était devenue importante. Des groupes comme Madness ou The Specials jouent des titres souvent instrumentaux, très rapides et chargés de cuivres. L'assise rythmique est caractérisée par une « pompe », c'est-à-dire un appui permanent sur les contretemps marqués en particulier par la guitare. 

Des groupes de "skinheads", qui désigne à l'origine des jeunes prolétaires britanniques aux cheveux tondus ou non, adhèrent, comme leurs « cousins » "rude boys" -mauvais garçons-, à ce son sautillant qui inspire aussi le rock anglais plus pacifique de The Police ou de The Clash. Au début du XXIème siècle, le "ska" est toujours vivant avec les Américains de No Doubt, les Japonais de Tokyo Ska Paradise (un extrait de Skaravan ci-dessus ) ou les Catalans engagés de Ska-P. En Jamaïque, à la fin des années 1960, après la parenthèse du "rock steady", genre musical d'où provient le "reggae", qui met en relief la basse et les voix, le reggae apparaît, porté par la mode des "dance halls". Dans ces soirées, des DJ comme URoy passent les faces B* (le verso) des disques 45-tours de "reggae", sur lesquelles ils improvisent des paroles ; cette pratique du "dub" sera une des sources du "rap".


Le reggae est donc un des sous-genres du jazz, voir même en est le principal. Néanmoins il existe des genres musicaux qui s'opposent complètement au niveau de la structure musicale, mais qui se rejoignent cependant dans l'idée de musique contestataire. C'est le cas pour la "Punk", mouvement complètement différent, qui n'est pas afro-américain, mais tout autant contestataire.
En outre, ce genre musical atteint son apogée vers 1977 en Grande-Bretagne, le "punk", ou "punk-rock", se voulait l'expression brute d'une jeunesse désœuvrée, révoltée et provocatrice. Il a progressivement évolué vers une forme plus accessible et moins politisée, le "skate-core".

La naissance du "punk" constitue certainement l'un des événements les plus importants de toute l'Histoire du "rock". Le terme signifie en anglais « moche », « qui ne vaut rien ». À l'origine, au milieu des années 1960, il est utilisé pour désigner des groupes de rock amateurs et bruyants, qui répètent dans des garages (d'où, également, l'appellation «rock garage»), comme les Américains The Shadows Of Knight, The Sonics ou The Remains (ci-contre leur titre Beneath). Le nom réapparaît en 1970 aux États-Unis pour désigner des formations sauvages et à la musique primaire, dont les thèmes tournent autour du mal de vivre, de la drogue et du sexe : MC5, Iggy Pop & The Stooges et The New York Dolls. Le manager de ces derniers, un Londonien du nom de Malcom McLaren, va exporter ce terme et ce concept dans la capitale britannique, pour le commercialiser littéralement en lançant un groupe qu'il fabrique de toute pièce, The Sex Pistols. À grands coups de provocations et de textes sarcastiques, prônant l'anarchie, l'esclandre, incident qui mène à un scandale, et le manque total de technique instrumentale.
Les Sex Pistols ouvrent une brèche dans laquelle s'engouffrent une multitude d'artistes avides de scandales, désireux de rompre avec la « prétention » qui s'était installée dans le rock des années 1970 : The Damned, The Clash ou The Buzzcocks en Grande-Bretagne, The Heartbreakers et The Ramones aux États-Unis, Nina Hagen Band en Allemagne, Métal Urbain, Starshooter ou Oberkampf en France.
Le groupe Strashooter français
Musicalement, le "punk" veut rompre avec le passé de la "pop music" et avec ses prolongements progressifs. Aux tics d'écriture recherchant à tout prix les effets de style (jeux vocaux, recherches harmoniques, utilisation d'un instrumentarium emprunté à la musique classique), il substitue un son brut qui s'appuie sur des "riffs", un élément Jazz, distordus de guitares et une thématique prolétaire. Un " riff" est une combinaison d'accords ou un refrain joué de manière répétitive par la section rythmique ou le musicien soliste d'une formation musicale. Les lignes en croches sont jouées staccato -saccadés- sur des tempos rapides avec un jeu de médiator parfois très technique. Le chant, hurlé, refuse une approche mélodique construite. Le timbre évoque la saturation des guitares électriques. Les claviers, réservés au son "new wave"-Nouvelle vague-, sont en général rejetés.
Néanmoins, progressivement le mouvement se durcit : la musique jouée par la deuxième vague du "punk" britannique est plus rapide, plus violente, préfigurant le "hardcore" américain et même le "death metal". Sans les groupes Crass (ci-contre leur chanson Punk is Dead, qui démontre que tout de même le style s'essoufle et à du mal à trouver d'autres admirateurs), The Exploited, Discharge ou GBH, les Américains de Black Flag, Dead Kennedys, Minor Threat ou Bad Religion n'auraient pas fait la même musique. De leur rock brutal et sans concession découlera une large scène "punk" américaine, dont les diverses subdivisions -"no-wave, hardcore straight-edge, emocore, grunge"- lui permettront même d'atteindre un public plus large. Au début des années 1990, grâce au succès de Nirvana et du grunge -mélange de hardcore désespéré et de folk rock vénéneux-, une nouvelle vague de punk va resurgir aux États-Unis et fédérer un public jeune et avide de sensations fortes.
The Offspring, NOFX, Green Day ou Rancid sont des groupes de "skate-core" -terme qui désigne un hardcore mélodique-, venus principalement de Californie et associés aux sports extrêmes et de glisse. Leur musique est énergique, à base de mélodies accrocheuses, teintée d'influences "ska", ou "pop", et leurs textes sont souvent parodiques. Cela leur vaudra de toucher un public plus large que celui du "punk" et de vendre des disques par millions.